Dans la Bulle

En 2016, un centre d’accueil temporaire pour réfugiés a ouvert ses portes pendant un peu plus d’un an à Paris. Un documentaire, Que m'est-il permis d'espérer, réalisé par Vincent Gaullier et Raphaël Girardot, est consacré à ces hommes errants dont il dresse, en pointillé, le portrait et évoque la vie morcelée.Ils s’appellent Salomon, Al Hassan, Zerbo, Idriss et Johnson. Ils sont Ethiopien, Guinéen, Malien, Erythréen, Nigérian. Le regard perdu, la voix hésitante, ils disent leur nom, leur âge, leur statut, le pays dont ils sont originaires et le parcours effectué pour arriver jusqu’à nous.

Nous sommes à Paris, pendant l’hiver 2016-2017, quartier de la Porte de La Chapelle dans le Nord-Est de la Capitale. Au bout de l’avenue, au croisement des Maréchaux, s’élevait une grosse « bulle », un chapiteau blanc en toile en forme de coquille d’escargot, striée de lignes jaunes. Un cirque ? Une foire ? Non, c’était le Centre de premier accueil, opéré par Emmaüs Solidarité, l’initiative lancée alors par la maire Anne Hidalgo pour pallier l’insuffisance de l’Etat face à l’arrivée massive de ressortissants venus des quatre coins du monde mais en particulier de la corne d’Afrique et d’Afghanistan. Ce sanctuaire, dont la mise sur pied constituait une première à Paris, n’a été ouvert que 17 mois* et, durant cette période, il aura accueilli, accompagné et pris en charge 25000 personnes, tous des hommes isolés – les familles étant, elles, dirigées dans un autre lieu situé à Ivry.

Hébergement permanent ? Non. Juste dix jours de répit, le temps d’être transférés dans des centres plus adaptés (CHU, CAO, CADA**) situés sur l’ensemble du territoire national et encadrés par l’Etat. Malheureusement, sur les 4000 réfugiés en moyenne à la rue dans la capitale française depuis juin 2015, tous ne pourront pas obtenir une place à l’abri de la pluie et du froid. Ce centre ne pouvait accueillir que 400 hommes en même temps. Une fois à l’intérieur, le personnel d’Emmaüs et des bénévoles leur offraient réconfort, une première assistance médicale et les introduisaient dans le dédale des procédures de demande de refuge, en passant par la case OFII (Office français immigration intégration) puis à la préfecture.

Une mauvaise traduction et c'est un délai supplémentaire de six mois pour l'instruction du dossier, l'obtention d'une autorisation de séjour d'un seul et unique mois, la non-attribution d'un hébergement de secours, voire pire, le risque d'une expulsion.

Le film suit donc ce parcours du combattant à travers ces personnages qui, chacun, tente de se faire comprendre dans leur langue ou celle qu’ils maîtrisent le mieux, l’anglais, ou plus rarement, le français. On saisit bien l’enjeu qui se cache derrière cette difficulté de communiquer lors des entretiens, que ce soit au centre ou avec les fonctionnaires bien plus rétifs à leurs explications, se fiant aux traductions approximatives des interprètes qui ne sont même pas sur place mais au bout d’une ligne téléphonique crachotante. Une mauvaise traduction et c’est un délai supplémentaire de six mois pour l’instruction du dossier, l’obtention d’une autorisation de séjour d’un seul et unique mois, la non-attribution d’un hébergement de secours, voire pire, le risque d’une expulsion.

Tous racontent leur périple à partir du moment où ils ont été forcés de partir de chez eux, abandonnant parents ou femme et parfois une fille à peine née, comme celle d’Al Hassan qu’il n’a plus revue depuis sept ans… Ils ont fui la guerre, l’oppression, la persécution, la violence des bandes armées et la misère. Certains, tel Salomon, ont perdu leur épouse et leur enfant au cours de leur long voyage. Mais de ce périple, on en saura peu. Ces rescapés en parlent vite pour éviter de s’attarder sur ce qu’ils ont subi dans les pays traversés, en Libye en particulier, où l’on sait bien maintenant à quel point ce territoire ravagé par la guerre civile est livré à la mafia de milices brutales, monnayant leurs corps tout en empochant l’argent des gouvernements européens pour faire le sale boulot de « filtrage » et de « rétention». La traversée en mer aussi reste peu abordée, épreuve enfouie dans une mémoire sélective qui trie, refoule, dissimule, au risque parfois de se faire coincer par un agent préfectoral qui, lui, veut des «preuves» pour décider dans quelle case classer ce «dossier».

Et puis, évidemment, impossible d’évoquer ces trajectoires semées d’obstacles sans parler du sinistre règlement Dublin qui condamne les demandeurs d’asile à un incessant et impitoyable marchandage entre les administrations européennes sur le dos de ces expatriés qui ne peuvent faire valoir un droit préférentiel du pays d’exil. La France, comme tout Etat européen, n’a aucune obligation d’imposer ce règlement et pourtant elle en joue à fond pour renvoyer tous ceux qui ont eu le malheur de laisser leurs empreintes dans le pays de leur arrivée en territoire de l’UE. C’est ainsi qu’on crée des sans-papiers : plus de 300000 estimés en France…

Que m’est-il permis d’espérer permet ainsi d’être aux côtés de ces hommes au moment où ils peuvent enfin provisoirement se poser, se confier et parfois sourire et chanter comme Johnson qui rêve, à 24 ans, de devenir la prochaine star du rap franco-nigérian. Et là, on se met à regretter que ce film n’ait pas réussi à rendre compte de cette autre ambiance plus joyeuse qui prévalait dans ce centre où se côtoyaient tous ces citoyens du monde. Car à « La Chapelle », dans la Bulle (l’espace d’accueil) comme dans la Halle (l’espace d’hébergement), à la laverie, au magasin de vêtements, ou dans les aires de repos, il y a eu de belles rencontres avec tous ces hommes au cours de fêtes organisées à l’occasion du banquet de « aïd el kebir » célébrant la fin du ramadan, de concerts de musique et de chants improvisés, et de la projection du film Nothingwood en présence d’une star du cinéma afghan porté en triomphe par ses compatriotes en extase.

Ce camp a connu la vie. Une vie presque normale faite aussi de réjouissances. Pour faire illusion face à l’inconnu…

Bernard Boulad

* Après sa fermeture prévue dès le départ, le terrain devant être récupéré pour l’édification du Campus Condorcet de la Sorbonne, le centre démontable était censé renaître à la Porte d’Aubervilliers. En 2017, le gouvernement change et Gérard Collomb arrive au ministère de l’Intérieur et bloque son déménagement. La partie était terminée et les exilés renvoyés à la rue dans des camps de fortune régulièrement évacués (30 évacuations à Paris avant l’ouverture du centre contre trois durant les 17 mois de son fonctionnement).

** CHU : Centre hospitalier universitaire, CAO : centre d’accueil et d’orientation, CADA : centre d’accueil de demandeurs d’asile en France

A voir : Que m’est-il permis d’espérer de Vincent Gaullier et Raphaël Girardot. 1h37.  Sortie en salle le 30 mars.

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