Devant la Cour nationale du droit d’asile

Chaque année, la Cour Nationale du Droit d’Asile (CNDA) juge près de 68000 recours de demandeurs d’asile qui se sont vu refuser ou retirer la protection de la France. Ces cas particuliers font l’objet d’un examen attentif et leur complexité tranche avec le modèle médiatique du « vrai » réfugié. Comme le requérant que nous suivons aujourd’hui, 4476 Afghan-nes sont passé-es devant la CNDA en 2021 et 66% ont finalement obtenu une protection de la France.

Montreuil, 8h30, un peu avant la première audience de la journée. Dans la salle d’attente, les visages sont fermés et tendus. C’est que la CNDA représente le dernier recours pour les demandeurs d’asiles déboutés par l’Office Français de Protection des Réfugiés et Apatrides (OFPRA). L’enjeu est grand. Seule la discussion entre les agents de sécurité tranche avec le silence pesant des requérants et leurs avocats.

« M. Omar ? ». La secrétaire d’audience vient chercher le prévenu et le conduit dans l’une des 17 salles d’audience. Trois hommes l’attendent. La cinquantaine, les cheveux blancs, le regard sérieux et la voix monotone. Avec leur masque, rien ne les distingue les uns des autres si ce n’est leur fonction. Au centre, le président de formation de jugement. Il est encadré par deux assesseurs, nommés respectivement par le Haut-Commissariat aux Réfugiés (HCR) et la Cour des Comptes.

Notre requérant, M.Omar, s’installe face à eux, entre son avocat et son interprète.

Parti d’Afghanistan à l’âge de 16 ans

« Je vais maintenant commencer l’exposé de la situation de monsieur et de mon analyse » commence alors la rapporteuse. Nommée pour son expertise juridique et géopolitique, elle est chargée d’éclairer les débats de façon indépendante mais ne participera pas au délibéré.

La lecture de la demande d’asile est longue. Monsieur Omar a 28 ans. Il est parti d’Afghanistan en 2010 à 16 ans après que les talibans ont tué son père qui avait refusé que son fils les rejoigne. Iran, Turquie, Grèce, deux ans en Belgique puis l’Allemagne. Là-bas, il travaille dans le bâtiment et a même une petite amie allemande. Son insertion dans la société allemande semble être quasiment parfaite. Mais pourquoi l’OFPRA a donc fait une demande de recours après son obtention de la protection subsidiaire ? C’est que la réalité est bien plus complexe que nos fantasmes de « faux réfugiés » contre de « vrais réfugiés ».

Condamné en Allemagne

Monsieur Omar a été condamné en Allemagne en 2014 à deux ans de prisons avec sursis pour agression sexuelle sous la contrainte. A l’énoncé des faits, on sent les juges gênés. Que faire de cet homme ?

Après lui avoir accordé une protection subsidiaire, l’OFPRA motive son recours par ces éléments qu’elle qualifie de « nouveaux ». Pourtant, l’avocat de Monsieur Omar le souligne, cette condamnation était déjà connue au moment du premier jugement à l’été 2021 : des échanges de mails le prouvent. Selon lui, ce recours n’a pas lieu d’être puisqu’aucun élément justifiant un changement de décision n’a été ajouté au dossier.

« Je n’essaierai pas ici de nier les faits qui sont reprochés à mon client. Ils sont graves. Agressions sexuelles sous la menace. Il a été condamné pour cela et je ne mettrai pas en cause une décision de justice établie par une cour souveraine. Il me semble cependant que mon client a accepté sa peine. Il est resté le temps nécessaire en Allemagne. Il n’a d’ailleurs pas fait de prison ferme. Signe que la cour allemande, au vu de sa minorité au moment des faits et d’autres éléments, a été clémente. Il aurait été intéressant de consulter le dossier ».

Ce dossier allemand, nous n’y avons pas accès. L’OFPRA n’a pas pu l’obtenir.

Embarrassée, la représentante de l’OFPRA, qui a initié ce recours, admet s’en « remettre à la sagesse de la cour » et ne poursuivra pas sa plaidoirie.

Autre accusation, le requérant est connu des services de police français pour consommation de stupéfiants en 2020. « Ce n’est pas bien, admet son avocat, mais est-ce à même de remettre en cause une protection internationale ? Je ne le crois pas ».

Dans son rapport, la rapporteuse liste linéairement les articles de lois nécessaires à éclairer la décision des juges.

Si la décision de la cour n’est pas aisée, c’est aussi que lors de sa première demande, Monsieur Omar a menti sur ses dates d’arrivées. Espérant peut-être cacher, dans un premier temps, sa condamnation pour agression sexuelle en Allemagne, le demandeur a déclaré être arrivé en France en 2018, directement depuis l’Afghanistan. Ce mensonge instaure le doute sur toutes ses futures déclarations. Ainsi, le président de formation le questionne à de multiples reprises sur sa vie en Afghanistan mais aussi sur sa province d’origine, Nangarhar, située à l’Est du pays, à la frontière avec le Pakistan.

Vous dites aimer la France?

« Est-ce qu’il y a un cours d’eau ? Un bâtiment public marquant ? Ou un monument ? Quelles ethnies y vivent ? »

La chronologie précise est souvent floue : « ça ne colle pas avec ce que vous avez déclaré plus tôt » remarque un assesseur. « Mais, connaissez-vous votre âge ? ». Malgré les approximations du requérant, les juges continuent, impassibles.

« Vous dites aimer la France ? Comment est-ce possible qu’un adolescent comme vous, à l’époque, qui n’est pas allé à l’école, puisse aimer la France,qu’est-ce que cela signifie pour vous ? » interroge ironiquement l’assesseur de gauche, dont ce sera la seule question.

« J’aime la France oui. Je voulais y aller depuis la Grèce. Là-bas, on m’a parlé du pays des droits de l’Homme, j’ai toujours voulu venir, c’était ma destination finale » se justifie maladroitement Monsieur Omar. On sent de sa part une volonté de plaire aux juges, quand eux ne semblent chercher, chez Monsieur Omar, que des traces d’un réfugié modèle qui leur permettrait de prendre une décision favorable. Systématiquement les questions de la cour tentent de déterminer si oui ou non Monsieur Omar a été un opposant politique de premier plan en Afghanistan, si son retour aujourd’hui le mettrait en danger, si depuis l’enfance il voue un amour plein à la France. Mais ce qui transparaît de ses réponses, c’est que Monsieur Omar a fui adolescent vers « l’Europe » sans pays de prédilection. Sans s’être opposé aux talibans avec véhémence, il a refusé de les rejoindre. Au vu de la chute de Kaboul, son retour semble compromis.

La France est plus son dernier recours que son pays de cœur. Toujours est-il qu’il y est aujourd’hui installé, à Orléans, où il travaille dans une poissonnerie.

« Mon client s’intègre par le travail, il apprend le français. Encore une fois, je ne nierai pas ici ses condamnations en Allemagne. Mais cela ne lui retire pas ses droits d’être protégé par la France » conclut son avocat.

Après une heure et demie, l’audience est close. Monsieur Omar recevra la décision de la CNDA le 17 juin. Il pourra alors revenir pour la consulter directement sur les écrans plats de l’institution où, à la manière d’un hall d’aéroport, ces dernières défilent dans un tableau impersonnel.

Orian Lempereur-Castelli

  • Selon l’article L712-2d du CESEDA (Code de l’Entrée et du Séjours des Etrangers et des Demandeurs d’Asile) fondé sur l’article 1er, F, b de la convention de Genève (28 juillet 1951) relative au droit d’asile, un crime grave de droit commun est de nature à remettre en cause le statut de réfugié ou la protection subsidiaire accordé à une personne.

  • L’article qui le précède (1er, F, b de la convention de Genève) statue aussi que les crimes contre l’humanité, crimes contre la paix et crimes de guerre, remettent en cause la demande d’asile de celui ou celle qui les commet.

  • Toute la question pour M. Omar est de savoir si sa condamnation en Allemagne pour agression sexuelle sous la contrainte peut remettre en cause la protection subsidiaire dont il bénéficie suite à une première décision de la CNDA en 2021.