« Ils ont cassé ma vie »

J’ai rencontré deux sans-papiers enfermés au Centre de rétention administrative de Vincennes où l’on pénètre comme dans une prison dans une ambiance secret-défense.

C’est à l’extrémité sud du bois de Vincennes, en traversant un bout de forêt verdoyant que l’on accède au plus grand Centre de Rétention Administrative (CRA), en nombre de personnes enfermées, de France métropolitaine. Les trois bâtiments qui constituent le CRA de Paris-Vincennes ont vu passer 2454 personnes en 2021 selon le rapport dernier rapport de la Cimade, France Terre d’Asile et 2 autres associations sur les situations en CRA et Locaux de Rétention Administrative. Une goutte d’eau en comparaison aux 42353 enfermements dans l’ensemble des 24 CRA du territoire français.

Juste derrière l’hippodrome, un long fil de barbelé surplombe un haut grillage. Partout, des policiers et policières surveillent les lieux, s’exercent au tir, font du sport, bavardent. C’est que le CRA est accolé au Centre Régional de Formation de la police. Les agents de l’Etat sont donc présent-es partout : lorsque je tente de prendre une photo des bâtiments à l’extérieur du site, un policier vient très vite me demander de supprimer les clichés. Celles qui illustrent l’article sont donc les deux seules images que j’ai pu conserver. Le CRA n’est pas une prison, mais le centre reste protégé par le secret défense, et, tout le fonctionnement du lieu semble reproduire celui d’une maison d’arrêt. Il n’y aura pas de photos de l’intérieur non plus. Les personnes enfermées ont le droit à un téléphone à condition qu’il ne puisse pas prendre de photos.

Pour accéder au parloir et rencontrer Bilal, enfermé au CRA depuis 56 jours, je subis une fouille au corps. Je dois laisser ma carte d’identité et mon téléphone à l’entrée. Puis, enfin, je suis autorisé à pénétrer la salle des visites. Là, une table coupée en deux par une vitre en plexiglas -en prévention du Covid-19-,deux chaises et un bureau au coin pour la policière qui surveillera notre entretien.

Comme lui, 1521 Algériens-nes ont été enfermé.e.s en CRA en 2021. Cela en fait la deuxième nationalité la plus enfermée derrière les Albanais-ses mais devant les Tunisiens-nes et les Marocains-nes.

Détournement de la rétention

Sous le coup d’une Interdiction de Territoire Français (ITF) de 36 mois suite à une peine de 8 mois de prison avec sursis pour consommation et détention de stupéfiants, le jeune homme de 27 ans a été interpellé par la police à sa sortie du Tribunal Judiciaire de Paris, porte de Clichy. Si la grande majorité des rétentions sont liées à une Obligation de Quitter le Territoire Français (OQTF), 61,5%, l’ITF représente tout de même le troisième motif d’enfermement. Surtout, les rétentions à la suite d’une peine de prison augmentent sans cesse depuis 2014. Les associations qui interviennent en CRA dénoncent un «détournement de la rétention» qui doit être un recours exceptionnel et non une manière de prolonger la privation de liberté de personnes condamnées qui vivent cette situation comme une « double-peine ».

Au parloir, Bilal a le regard fatigué et perdu. Pourtant, il l’affirme « ici, ça va, on dort bien. On est deux par chambre. C’est ok. La cantine ça va, oui, pour les quantités mais pour le reste… » Il se penche et me fait comprendre à voix basse, sans que la policière qui surveille le parloir ne puisse entendre, que c’est immangeable.

Les policiers, Bilal en a peur. Non pas qu’ils soient tous violents : « Certains sont gentils, polis, d’autres t’ignorent. Mais il y en a qui sont racistes, qui tapent. Il y a souvent des bagarres entre les personnes enfermées, mais aussi avec les policiers. L’ambiance est tendue ». Ces cas de violences policières, Mohamed, lui aussi enfermé au CRA de Vincennes, nous le confirme au téléphone.

« Ils se sont mis à trois sur moi, pour me taper. Ils ont caché la caméra et là ils m’ont tabassé. Pourquoi ? Parce que je l’aurais insulté pendant la promenade. Mais c’est pas vrai ! Il parle même pas arabe donc comment il aurait compris ce que je disais ? » explique Mohamed, un Algérien enfermé depuis 73 jours. « J’ai pris son numéro [au policier] et je veux porter plainte, mais je sais pas comment faire ».

Protester contre les allers-retours CRA-taule

Ces violences et autres mauvais traitements ont entraîné de nombreuses actions de rébellion au CRA de Vincennes documentées par l’Assemblée Contre les CRA d’Ile De France et dans les rapports annuels de la Cimade. L’assemblée tenait ainsi un concert de soutien aux enfermé-es samedi dernier au squat « Le Marbré » à Montreuil. Au programme, état des lieux des mouvements contre les CRA, l’actualité des nouvelles constructions et écoute de témoignages de personnes enfermées diffusées dans l’émission de radio L’envolée. Les fonds récoltés lors de cette soirée de soutien serviront notamment à acheter des téléphones portables sans caméra pour pouvoir communiquer directement avec les personnes enfermées, comme je l’ai fait avec Mohamed.

Les incendies sont ainsi une façon pour les personnes enfermées de se rebeller. D’autres se mettent aussi en grève de la faim comme le 17 mars dernier lorsqu’une majorité des personnes enfermées du bâtiment 2 ont refusé de s’alimenter pendant 2 jours pour protester contre «les aller-retours CRA-taules». Enfin, certains tentent de s’évader.

Arrivé à 17 ans

Plus que de la fatigue, le vide de son regard traduit sa lassitude et son désespoir. «Ils ont cassé ma vie. Je ne suis au courant de rien. Je sais pas quand je vais sortir. C’est injuste. Je suis allé au tribunal et là ils m’ont emmené». Lorsque j’évoque un possible renvoie en Algérie, sa voix se brise «Qu’est-ce que je vais faire là-bas ? On n’est pas riche nous. Non, on est une famille pauvre. Je n’ai pas revu mon père quand il est mort. J’étais venu travailler en France. Je travaillais au marché, je vendais des vêtements, parfois des cigarettes ».

« Je suis venu, j’avais 17 ans. Sur un bateau, depuis l’Algérie. J’ai payé 250 euros pour monter sur un tout petit bateau. On était 14 sur un truc de sauvetage. La traversée a duré 24h. Une journée entière sur mer. On est arrivé en Espagne et là on a pris la route. J’ai fait une demande d’asile en Suisse puis je suis venu à Paris. En France je voulais aussi faire une demande d’asile, mais ce n’est pas possible. » En effet, la Suisse est aussi soumise au protocole de Dublin qui empêche les migrants de faire plusieurs demandes d’asile dans des pays différents. De toute façon, Bilal semble peu au courant de ses droits et des recours possibles. Il n’a pas eu accès à un avocat et n’a eu aucun contact avec l’extérieur avant nous. Il n’a pas pu prévenir ses amis puisqu’il a été emmené directement après sa sortie du tribunal et il n’a pas de famille en France.

Avant de retourner dans sa chambre, Bilal me remercie longuement de ma présence. Il pense que « les gens doivent savoir ce qu’il se passe ici ». La suite, pour lui, est incertaine. En 2021, 79% des Algériens enfermés en CRA ont été libérés au terme de leur passage en CRA car les conditions sanitaires ne permettaient pas leur éloignement. Leur enfermement en CRA s’est donc fait «sans perspectives d’éloignement contrairement à ce que prévoit la loi» note le rapport 2021 de la Cimade et France Terre d’Asile.

Orian Lempereur-Castelli