La Chapelle Debout

Depuis 2016, le collectif de militants et sans-papiers La Chapelle Debout tente d’instaurer un rapport de force collectif et politique avec la préfecture et l’Etat français. Plutôt que de l’aide humanitaire individualisée, les militants favorisent l’action collective et ont ouvert une nouvelle occupation le 18 avril 2022 dans le 9ème arrondissement de Paris.
« L’Ambassade des Immigrés », comme l’ont nommée ses occupants, héberge 80 hommes sans-papiers et une dizaine de militant-es venus en soutien à l’appel du Collectif La Chapelle Debout. Mais plus qu’un lieu de vie, la volonté est d’en faire un espace de mobilisation et d’organisation collective pour les sans-papiers. C’est cette idée qui guide les membres du collectif depuis sa création en 2016. Après l’évacuation de plusieurs camps de migrant-es aux métro Stalingrad et La Chapelle (Paris), les militant-es ont acquis une conviction qui semble les guider depuis dans leurs actions : l’aide humanitaire individuelle ne suffit pas, il est nécessaire de faire exister politiquement les sans-papiers.
Une stratégie : politiser les sans-papiers
Pour instaurer un rapport de force, le collectif a développé une méthode déjà mise en place sur d’autres occupations. A l’occasion de maraudes dans les camps de migrants du nord-est parisien, ses membres diffusent leur discours politique et appellent à des réunions publiques. C’est ainsi qu’ils et elles ont réussi à constituer un groupe de 80 sans-papiers, qui lutte aujourd’hui à «l’Ambassade». Les migrants sont ainsi associés au processus décisionnaire et à l’action politique.
A leur tour, ils font désormais des maraudes et discutent avec les migrants toujours à la rue pour récolter leurs témoignages sur le harcèlement policier, les appeler à rejoindre les manifestations de sans-papiers et ainsi sortir de l’isolement social et politique. «Ceux dehors, ils ont les mêmes problèmes que nous. Ceux qui ont des papiers et un logement, ceux qui n’ont ni papier ni logement, ceux qui ont des papiers et un logement, on est tous ensemble !», se confie un habitant du bâtiment occupé.
Lors de l’ouverture de « l’Ambassade » ou de manifestations, la consigne est donc de rester groupé avec toujours comme idée que le collectif protège. Le but est ensuite d’instaurer un rapport de force avec la préfecture et l’Etat pour obtenir des papiers et des logements pour tous, en tant que groupe militant et non individuellement.
La lutte collective : une méthode désormais éprouvée
Le collectif n’en est pas à son coup d’essai. En avril 2016, il coordonnel’occupation du lycée Jean Jaurès (Paris) avec 150 migrants. En septembre de la même année, le procès du militant Houssam El-Assimi pour «rébellion» et «violences sur personne dépositaire de l’autorité publique» est transformé par le collectif en procès « des rafles des migrants ». Il s’en suit alors la participation à de nombreuses manifestations à Paris et à l’aéroport Charles De Gaulles pour protester contre les déportations. En 2019, le collectif soutient largement l’action des Gilets-Noirs, collectifs de sans-papiers né en novembre 2018, qui occupentle terminal d’Air France à Roissy (Aéroport CDG), une tour à la Défense ou encore le Panthéon.
Construire une plateforme de la mobilisation des sans-papiers
Aujourd’hui, le collectif revient avec ce nouveau lieu, 17 rue Saunier (Paris IXe), et espère le transformer en plateforme de la mobilisation des sans-papiers. Un habitant sans-papier explique: «Ici, ce n’est pas un hôtel, on est là pour s’organiser». Ainsi, les habitants et leurs soutiens ont défilé dimanche 1er mai de Stalingrad vers la place de la République pour défendre l’occupation et réclamer des papiers et des logements pour tous.
Dans la nuit, des militants d’Extinction Rebellion – un groupe de militant-es écologistes né en Angleterre dont le mode d’action principal est la désobéissance civile – ont accroché une nouvelle écharpe républicaine sur la statue de la célèbre place parisienne alors qu’un drapeau ukrainien l’avait habillé pendant plusieurs semaines. Le slogan, peint à « l’Ambassade » avec l’aide des habitants, pose la question suivante : « guerres, sécheresses, massacres, famine, dictature, inondation, a-t-on choisi de partir ? ». Les militants espèrent ainsi rappeler à l’Etat français que l’exil n’est pas un choix et que, à l’instar des réfugié-es Ukrainien-nes, ceux des autres pays ont des droits qu’il faut respecter.
La semaine prochaine, cinq militant-es du collectif sont appelé-es devant le juge après une plainte du propriétaire du bâtiment, inoccupé depuis trois ans. Face à cette répression juridique, les militant-es espèrent bien pouvoir compter sur la force du collectif qu’ils et elles ont construit et tentent de légitimer leur action auprès de la justice. «Une permanence de Médecin sans Frontières, ça rassure et ça montre qu’il n’y aura pas de problèmes de maladies», explique un membre du collectif. Des personnalités politiques, comme Elsa Faucillon (députée PCF des Hauts-de-Seine) ou Eric Coquerel (député LFI de Seine-Saint-Denis), sont aussi venues soutenir le lieu la semaine dernière. Reste maintenant à savoir si cela suffira à garantir la non-expulsion des habitants et de leurs soutiens, et plus encore, s’ils obtiendront «des papiers et des logements pour tous» comme ils le réclament à chaque manifestation.
Orian Lempereur-Castelli