Le dernier refuge

A l’Est du Mali, à la limite du Sahara, Gao est aujourd’hui la dernière étape pour les migrants avant la traversée du désert vers l’Algérie. La Maison du migrant animée par le réseau catholique Caritas depuis les années 1990 offre le logis et de l’aide aux voyageurs venus de pays de l’Afrique et de l’Asie du Sud. Ces hommes et femmes de tout âge y demeurent quelques jours, quelques mois avant de reprendre la route vers l’Europe. Pendant la pandémie, la maison a accueilli près de 300 personnes. C’est dans cette maison que le réalisateur malien Oussmane Samassékou a suivi Esther et Cali, deux jeunes adolescentes de 16 ans venues braver le danger pour rejoindre l’Europe. Dès les premières images, le réalisateur donne le ton : le soleil, le désert et des tombes mentionnant un prénom, une date de naissance approximative. Bien avant d’atteindre la Méditerranée, ce voyage est sans pitié. C’est l’une des missions du refuge : informer des risques. Choquée, Esther pleure lorsque le responsable lui expose l’étendue des difficultés : le risque d’être exploitée sexuellement par les djihadistes qui sévissent à la frontière, le risque de mort. Un homme raconte son périple : « Il faut savoir qu’il y a de la discrimination. Tu veux travailler d’accord, mais parfois tu travailles et on ne te paie pas ! Ou encore tu paies le passeur et tu n’arrives pas à destination ! » La maison du migrant, c’est aussi la maison des désillusions.
Les ado se lient d’amitié avec une femme amnésique, échouée là, sans savoir qui elle est, ni d’où elle vient. Les deux jeunes filles, qui ont fui leur famille, partagent une chambre. Elles parlent de leurs rêves :
– Quand j’étais petite, je voulais devenir soit musicienne, soit faire du théâtre ou de la boxe.
– Moi, je voulais devenir policière.
Après ces moments d’insouciance, vient le temps de la détermination : suivront-elles les passeurs ou au contraire retrouveront-elles leur famille à Bamako?
Il a fallu beaucoup de patience au réalisateur pour faire oublier la caméra.
« Je dormais avec eux, je vivais avec eux, je mangeais avec eux, je jouais avec eux. Quand j’ai sorti ma caméra, ils ont fini par oublier que j’étais là. Ils ont compris que je n’étais pas là pour filmer le bling-bling de l’immigration. », a-t-il raconté fin août lors de la présentation de son film aux Etats généraux du film documentaire de Lussas en Ardèche. Loin des effets de style, le réalisateur exerce l’art subtil de l’écoute et donne à voir des moments précieux de ces voyageurs hors du commun.
Enrica Sartori
A voir : Le Dernier Refuge, d’Oussmane Samassékou, 2021, 85 min., France/Mali/Afrique du Sud.