Le Mémorandum d’accord entre le Royaume-Uni et le Rwanda sur l’externalisation de l’asile viole les droits de l’Homme

Le 14 avril 2022, la ministre britannique de l'Intérieur Priti Patel et le ministre Rwandais des Affaires étrangères et de la Coopération internationale, Vincent Biruta, signent un Mémorandum d’accord au Palais des Congrès de Kigali, au Rwanda.

Le mémorandum d’accord  entre le Royaume-Uni et le Rwanda a pour but de renvoyer dans le pays africain les personnes arrivant en Grande-Bretagne de manière irrégulière (ou qui y sont arrivées de manière irrégulière depuis le 1er janvier 2022). En effet, selon l’accord ces personnes peuvent être envoyées au Rwanda par le biais d’un vol « aller simple », que leur demande soit traitée dans ce pays. Selon les clauses de cet accord, si ces personnes sont reconnues comme réfugiées, ce statut leur sera accordé au Rwanda.

Un accord pour servir des intérêts politiques

Malgré les nombreuses critiques des organisations internationales de défenses des droits de l’Homme dont Human Rights Watch, Amnesty Internationale et le HCR vis-à-vis de cet accord, Alain Mukuralinda, porte-parole adjoint du gouvernement Rwandais, a déclaré dans un communiqué le 19 mai 2022 que « le Royaume-Uni a informé le premier groupe d’environ cinquante personnes qu’elles seront relocalisées et nous nous attendons à avoir bientôt des nouvelles de nos partenaires britanniques » sur leur date d’arrivée.

Ce programme va coûter environ 160 millions de dollars aux contribuables britanniques. Il s’agit pour ces deux pays de coopérer efficacement dans la prévention et la lutte contre la migration transfrontalière illégalement facilitée et illégale. Le Royaume-Uni estime que la délocalisation des demandeurs d’asile au Rwanda est conforme à ses obligations juridiques internationales. Du côté du Rwanda, cet accord représente à la fois une opportunité politique et économique pour ce pays qui souhaite devenir une terre d’accueil. Même s’il n’est pas le premier pays auquel l’on pense quand on évoque le dossier des migrants. Pourtant ce pays de 12 millions d’habitants a déjà accueilli 130000 réfugiés venus de la région des Grands Lacs mais aussi de la Libye, de l’Afghanistan et plus récemment de l’Ukraine.

Il a pour cela des raisons politiques et économiques.

Politique parce que depuis le génocide de 1994, le Rwanda n’a cessé d’afficher sa volonté de devenir une puissance politique continentale, et l’accueil des réfugiés représente pour le régime de Kigali un moyen efficace pour parvenir à cet objectif. En plus, le Rwanda malgré ses prouesses économiques de ces dernières années, son bilan en matière de respect des droits civils et politiques est peint en noir aussi bien par les ONG de défenses des droits de l’Homme que par l’opposition rwandaise. Le régime de Kigali voit dans l’accueil des réfugiés une opportunité pour redorer l’image du pays sur la scène internationale et donner un signal fort à la communauté internationale que le Rwanda est toujours respectueux des droits de l’Homme. En résumé, que le Rwanda est et reste une terre d’accueil par excellence.

Économique, parce que les réfugiés apportent beaucoup à l’économie nationale. Par exemple, en 2015, une équipe de chercheurs de l’Université de Californie à Davis, en menant une étude dans les trois camps de réfugiés congolais de Kigeme, Gihembe et Nyabiheke, au Rwanda, ont montré que chaque réfugié du camp de Nyabiheke reçoit 113 dollars par an en aide alimentaire (en nourriture et non en espèces) et qu’en retour chaque réfugié apporte respectivement 205 et 253 dollars supplémentaires à l’économie locale (dans un rayon de 10 km) par année. Pour les communautés vivant à proximité des camps, cela signifie que chaque réfugié créée une augmentation de 63 % à 96 % du revenu moyen des ménages dans les localités voisines.

Un accord en contradiction avec la Convention de Genève de 1951 relative au statut des réfugiés

Selon la Convention de Genève de 1951 sur les droits du réfugié, pour bénéficier du statut du réfugié il faudra justifier de l’existence de persécution en cas de retour dans son pays d’origine ou son pays de résidence habituelle pour l’un des cinq motifs énumérés à l’article 1 de ladite convention. S’il est vrai que la convention définit qui peut bénéficier du statut de réfugié, les conditions d’éligibilités quant à elles, relèvent de la souveraineté de chaque État. Les États doivent tout mettre en œuvre pour assurer une protection aux personnes qui en sollicite. Le HCR a mis en garde à plusieurs reprises contre ce projet d’externalisation de l’asile en le qualifiant de contraire la convention de 1951. Il ne soutient pas l’externalisation de l’asile par les pays, y compris les mesures prises pour transférer les demandeurs d’asile et les réfugiés vers d’autres nations avec des garanties insuffisantes pour protéger leurs droits, ou lorsque cela conduit au transfert plutôt qu’au partage des responsabilités pour les protéger.

Les antécédents du Rwanda en matière de violation des droits de l’Homme

En plus d’être contraire au droit international des réfugiés, le Royaume-Uni a signé cet accord en fermant les yeux sur les nombreuses violations des droits de l’Homme du régime rwandais. De nombreuses ONG de défenses des droits de l’homme et l’opposition Rwandaise ne cessent de monter au créneau pour dénoncer les nombreuses atteintes aux droits de l’Homme du régime de Paule Kagame. En outre, le bilan mitigé en matière de droits de l’Homme, le Rwanda ne semble pas non plus être un bon élève en matière de protection des droits des réfugiés. Selon Human Rights Watch, en 2018, les forces de sécurité rwandaises ont abattu au moins 12 réfugiés de la République démocratique du Congo, dont une soixantaine ont été arrêtés puis poursuivis par les autorités rwandaises à la suite d’une tentative de manifestation contre la réduction des rations alimentaires. D’ailleurs, le Royaume-Uni a directement fait part au Rwanda de ses préoccupations en matière de respect des droits humains, et a accordé l’asile à des Rwandais ayant fui leur pays, dont quatre rien que l’an dernier, a indiqué Human Rights Watch dans le même rapport.

Le Rwanda a aussi déjà signé un accord de ce type avec Israël et l’Ouganda, en 2014. En effet, ce pays a accueilli des demandeurs d’asile déboutés par Israël, dont beaucoup ont ensuite tenté de gagner l’Europe, selon les organisations internationales. L’expérience devait être renouvelée en 2017, mais, face à la pression des ONG, le projet a été rapidement enterré. Le Danemark aussi avait eu des discussions avec Kigali pour relocaliser les demandes d’asile, mais, cette fois, l’Union africaine est montée au créneau. « De telles tentatives pour endiguer la migration de l’Afrique vers l’Europe sont xénophobes et totalement inacceptables », a déclaré l’institution.

Des droits des personnes relocalisées et des refugiés

Selon les termes de cet accord, les personnes relocalisées verront leur dossier être étudiés en conformité avec la Convention de Genève de 1951, son protocole additionnel de 1967 et les lois rwandaises sur l’immigration et aux normes internationales de protection des Droits de l’Homme en la matière. Elles auront droit à un interprète et à une assistance procédurale ou juridique, à chaque étape de sa demande d’asile, y compris si elle souhaite faire appel d’une décision prise sur son cas.

Pour les personnes reconnues comme réfugiés, le Rwanda accordera à la personne relocalisée le statut de réfugié et lui fournira le même niveau de soutien et d’hébergement qu’une personne relocalisée demandant l’asile, l’intégration dans la société et la liberté de mouvement conformément à la Convention sur les réfugiés. Les personnes reconnues comme réfugiés seront traitées conformément à la Convention sur les réfugiés et aux normes internationales et rwandaises.

Cependant, pour les personnes qui se verront refusées le statut ou qui n’ont pas besoin de protection, l’accord prévoit la possibilité de demander une autorisation de rester au Rwanda en vertu des lois nationales sur l’immigration. Il est aussi mentionné à l’article 10.4 que les « Personnes Relocalisées » qui ne sont pas reconnues comme réfugiés ou qui n’ont pas un besoin de protection ou une autre base pour rester au Rwanda, le Rwanda ne renverra une telle personne que vers un pays dans lequel elle a le droit de résider. S’il n’y a aucune chance que ce renvoi ait lieu pour quelque raison que ce soit, le Rwanda régularisera le statut d’immigration de cette personne au Rwanda.

Sitsofé Jude-Vianney Kitty, doctorant en droit international public