Les MNA, migrants avant d’être mineurs ?

Place de la Bastille, Utopia 56 et une trentaine de Mineurs Non Accompagnés (MNA) dénoncent les manquements de l’Etat.

« Ce sont les jeunes qui sont venus vers nous à la sortie du dispositif, commente pour nous le coordinateur d’Utopia 56, Pierre Mathurin. Ils n’en pouvaient plus du harcèlement policier et avaient le désir d’être visibilisés. Le fait d’être accompagnés par une association les rassure. »

C’est ainsi qu’est née l’idée de cette première action de visibilisation des MNA. L’association Utopia 56 n’en est, en effet, pas à son coup d’essai. En novembre 2021, l’installation d’une centaine d’exilé-es majeur-es avec des tentes place de la République et leur évacuation violente avait fait grands bruits. Un an plus tôt, c’est devant l’Hôtel De Ville de Paris que s’installaient les tentes de l’association pour interpeller les pouvoirs publics sur la situation des personnes à la rue.

Le samedi 28 mai, l’association et une trentaine de MNA en recours devant le juge pour obtenir la reconnaissance de leur minorité ont posé leur tente place de la Bastille, au cœur de Paris, afin de dénoncer un dispositif d’accueil des MNA défaillant.

“Au total, on estime qu’à Paris 1000 mineurs n’ont pas d’hébergement et dorment à la rue”, Pierre Mathurin d’Utopia 56

« Ce sont entre cinq et dix jeunes qui sont remis à la rue chaque jour. Au total, on estime qu’à Paris 1000 mineurs n’ont pas d’hébergement et dorment à la rue. C’est contraire aux conventions internationales ! », fulmine Pierre Mathurin. « Le but c’est donc d’amener plus de jeunes ici, place de la Bastille, car nous en rencontrons tous les jours en maraude. On a déclaré la manifestation pour cinq jours, mais on espère rester le temps qu’il faudra. »

« Ils ont dit que ma manière de parler était trop mature. » C’est les larmes aux yeux que Abdoulaye Conde, adolescent de 16 ans, se confie à nous en français, langue qu’il a apprise en Guinée. Arrivé à Paris il y a cinq jours, il a passé l’examen de reconnaissance de minorité sans succès. Ni son extrait de naissance guinéen ou la reconnaissance par l’Italie, où il a passé 2 mois, de sa minorité n’ont été considérés comme suffisants pour prouver son âge. A sa sortie du dispositif animé par la Croix-Rouge, il rencontre des bénévoles d’Utopia 56 et décide de participer à cette manifestation.

« Souvent, pendant un entretien de 30 minutes, un psychologue va juger que la posture de l’enfant est trop mature et ne correspond pas avec l’âge déclaré, confirme Pierre Mathurin. La vulnérabilité, le parcours difficile de ces jeunes ne sont pas prises en compte. Il y a aussi un délit de faciès face à des adolescents souvent africains qui sont soupçonnés de mentir. On demande une présomption de minorité pour protéger les droits des enfants. »

Comment en effet reprocher à Abdoulaye d’apparaître plus mature qu’un enfant français de 16 ans lambda lorsque que l’on sait ce qu’il a traversé pour arriver ici dans « ce pays qu’[il] ne connait qu’à travers les films et le football, le Paris-Saint-Germain (PSG)».

Au décès de sa mère, Abdoulaye se retrouve seul avec la deuxième femme de son père -mécanicien et souvent en déplacement- qui le maltraite. Quand son oncle lui dit de le suivre en Europe, il n’hésite pas. « Mon oncle me disait tout. Le chemin. Tout. Je ne connais rien, moi. Mais il est resté dans l’eau ».

Rester dans l’eau, c’est les mots qu’il choisit pour décrire la mort de son oncle en Méditerranée, comme 1924 autres exilé-es en 2021.

« Je veux dormir quelque part. Ici, c’est trop de froid, on ne mange pas bien. Aller à l’école, parler français, c’est ce que je veux » conclut-il avant de retourner jouer au football avec quelques autres MNA et des bénévoles d’Utopia 56.

Orian lempereur-Castelli

Qui prend en charge les mineurs non accompagnés ?

A Paris et en Seine-Saint-Denis (93), c’est la Croix-Rouge qui gère l’évaluation des Mineurs Non Accompagnés. Dans le Val-de-Marne (94), c’est l’association France Terre d’Asile qui est mandatée par l’Etat. Dans le reste des départements français, le dispositif est assuré par l’Aide Social à l’Enfance (ASE) qui se trouve au sein de chaque Conseil Départemental.

Grâce à la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE, 1989), les Mineurs Non Accompagnés sont mineurs avant d’être migrants. Ils peuvent ainsi bénéficier de la protection de l’enfance de la France. Cette compétence relève des départements qui gèrent l’Aide Social à l’Enfance (ASE). Mais face à une grande demande et des moyens limités, selon Utopia 56, la France ne reconnaît la minorité que de 10% des enfants. Les 90% autres peuvent effectuer un recours devant le Tribunal des Enfants. Après un délai de plusieurs mois où ils sont livrés à eux-mêmes, l’association estime que 60% des mineurs sont reconnus par le juge.