L’odyssée de l’espèce

« D’où venons-nous ? Que sommes-nous ? Où allons-nous ? » A ces trois questions fondamentales, de prime abord philosophiques, Lluis Quintana-Murci répond comme le vrai spécialiste généticien qu’il est : avec des faits, des recherches, des études et des données. Lire un essai de ce calibre scientifique, pour un passionné de questions de migrations et de métissages, habituellement perçues sous un angle sociologique, historique ou politique, est loin d’être un chemin de croix. Au contraire, c’est une fascinante plongée dans le passé de la planète qui dévoile l’aventure humaine dans toute sa chaîne génétique, de sa naissance à aujourd’hui.
En clair, ce que réussit à faire Quintana-Murci avec ce livre-somme, c’est de nous aider à comprendre d’où nous venons et comment nous sommes devenus des humains à la fois à peu près « égaux » et… différents. En revanche, pour ce qui est de savoir où nous allons, c’est un peu plus hasardeux car nous changeons en permanence : nous mutons, nous nous mélangeons mais nous continuons à rester le même peuple : celui des humains. Sans frontières, ni pays, ni nationalités.
Oubliez Adam et Ève. Quintana-Murci, en chercheur sérieux, membre de l’Académie des sciences, est un pur Darwinien. Avec lui, on suit dès le XVIIe siècle la première tentative de classification des êtres humains en 1684 par le médecin français François Bernier qui se fonda sur la couleur de la peau. Le chemin fut long avant de comprendre qu’il avait pris la mauvaise route même si la pigmentation a une explication scientifique mais pas celle que l’on croyait à l’époque. C’est normal. On n’avait pas encore les outils qu’il fallait pour bien observer ce qui s’est passé au-dessous de la peau dans nos cellules il y a de cela des milliers d’années.
La découverte de Néandertal, une étape cruciale
La découverte de Néandertal en 1856 dans la vallée de Neander en Allemagne (on apprend plein de choses que l’on croit acquises dans cet essai fouillé) marque une étape cruciale dans la recherche sur l’origine des humains. Trois ans plus tard, Darwin publie son fameux De l’origine des espèces au moyen de la sélection naturelle, fruit de treize ans d’observation et de prise de notes sur ce qu’on a appelé «la théorie de l’évolution». En résumant, Darwin affirme que l’espèce humaine a un ancêtre commun et les différences sont acquises sous l’effet de la sélection naturelle.
Les croyants sont ébranlés et les contempteurs de la classification des «races» outrés. Qu’importe, les chercheurs continuent de chercher et ils jonglent avec les théories et les concepts et parviennent à des conclusions qui, jusqu’à aujourd’hui, font grincer des dents chez les créationnistes, surtout américains. C’est grâce à l’Autrichien Gregor Mendel que l’héritabilité devient un concept scientifique en 1865. C’est lui le père fondateur de la génétique, nous apprend Quintana-Murci qui explique que, lorsqu’à partir de celle-ci on est arrivés à la génomique, la lumière s’est faite sur beaucoup de zones d’ombre. En passant ainsi du gène au génome et à son séquençage en 2001, révélant 3 milliards de lettres ou nucléotides, on a pu reconstituer l’histoire de l’espèce humaine vieille de 200000 ans.
Une longue migration à pied
C’est donc la véritable révolution scientifique que représente la génomique qui nous permettra de suivre la marche, car il s’agit effectivement d’une longue migration à pied, que les premiers humains, homo sapiens, entreprendront lorsqu’ils « sortiront » d’Afrique il y a environ 60000 ans et qu’ils se mêleront aux autres espèces « archaïques », les néandertaliens et les dénisoviens (que l’on connaît moins). Cette mixité et le début de ce métissage n’avaient pas été prouvés jusque-là. Nous avons encore aujourd’hui des traces de ces ancêtres en nous. Nous sommes donc tous et toutes à l’origine des Africains métissés devenus génétiquement très divers du fait de notre mélange et de l’interpénétration de nos sociétés à travers les siècles et les grands mouvements des populations : migrations, sédentarisations, invasions, colonisations, traites d’esclaves, etc.
Pas de populations «pures»
«Aucune rupture ou barrière nette ne sépare les différentes populations humaines», rappelle l’auteur. «Elles constituent un continuum de variabilité génétique, plus élevée en Afrique et diminuant au fur et à mesure que l’on s’éloigne du continent qui fut le berceau de l’humanité. Il n’y a pas de populations “pures” puisque tous les humains, indépendamment de leurs origines géographiques ou ethniques, sont le résultat d’une longue histoire de brassages.» Et, c’est ainsi que les Européens ont commencé à avoir la peau plus claire il y a tout juste 4000 ans.
Notre système immunitaire, résultat de 60000 ans de métissages
S’il étudie des êtres morts à partir de restes humains millénaires et surtout des os retrouvés sur la planète, c’est à la longue chaîne du vivant que s’intéresse Quintana-Murci, incluant l’environnement, bien sûr, souvent hostile à la survie de l’humain et dont les croisements lui ont permis de s’adapter et de résister aux agents agresseurs, notamment les maladies infectieuses, grâce aux mutations génétiques. «Notre système immunitaire est le résultat d’au moins 60000 ans de métissages» écrit-il, notant toutefois que le risque accru d’hospitalisation par le virus du Covid-19 est associé à des facteurs génétiques hérités… des néandertaliens.
L’évolution, un jeu d’interactions toujours changeantes
Ces découvertes sont d’une importance capitale dans la recherche de traitements thérapeutiques plus ciblées. Mais il y a loin de la coupe aux lèvres car «l’évolution est un jeu d’interactions toujours changeantes où rien n’est jamais (définitivement) acquis.» Et la culture joue aussi. C’est ainsi que les femmes, dans 80% des cas, lorsqu’elles se marient vont s’installer dans le village de l’époux, faisant d’elles des êtres plus mobiles que les hommes.
Tout est alors affaire de mutation de gènes : notre taille, notre tolérance à l’âge adulte au lactose, notre adaptation au froid et au mal des montagnes, notre besoin en oxygène. Aussi, grâce à un variant dans un de ses gènes, le peuple Bajau, qui vit en Asie du Sud-Est, peut tenir en apnée pendant… 13 minutes.
Intelligent, «l’homme est un singe pas comme les autres» qui parle. Une théorie soutient d’ailleurs que ce sont des éleveurs de la steppe pontique-caspienne en Asie centrale appartenant à la culture Yamna qui auraient répandu, il y a environ 4500 ans, les langues indo-européennes qu’on parle aujourd’hui en Europe. On a déjà vu racines plus blanches !
Bernard Boulad
A lire Le Peuple des humains. Sur les traces génétiques des migrations, métissages et adaptations, de Lluis Quintana-Murci, éd. Odile Jacob, 331 pages, 23,90 €
«L’étude des génomes des populations humaines d’aujourd’hui montre également que nos ancêtres auraient quitté l’Afrique il y a environ 60000 ans pour peupler le reste de la planète. Il s’agit de la première grande migration de l’histoire humaine : tous les individus d’origine non africaine sont donc les descendants de ces premiers “migrants”.»
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