Se frayer un chemin

Dans son récit autobiographique "Comme nous existons", la sociologue Kaoutar Harchi, née en 1987, dépeint par petites touches ses souvenirs de jeunesse, qui en disent long sur la vie d’immigrés d’un quartier nord d’une grande ville française. Pour l’écrivaine, ce fut Strasbourg.

Fille unique d’un couple aimant, la jeune femme offre un portrait touchant de ses parents, Mohamed et Hania. Tout commence par un film : celui du mariage de ses parents à Casa au Maroc, en 1984. La petite fille visionne la cassette VHS comme pour se chauffer à la lumière de cette époque, ce temps d’avant sa naissance où régnait le bonheur. « Dans le cœur, le cœur de ma mère, le cœur de mon père, à cette époque-là, en ce pays-là, sachez-le : la joie était rassemblée. Puis la joie, plus tard, s’est dispersée, elle est partie. Où a disparu la joie, ils ont disparu avec elle. »Car en France, ce n’est pas la fête. Mohamed et Hania nettoient des bureaux le soir. Le couple reste discret et ne se mêle pas trop au voisinage. L’ensemble d’immeubles où la famille réside est relativement calme non loin d’un quartier pavillonnaire. « Tout d’un coup, une dispute éclatait entre untel et untel, et de la bouche de l’un ou de l’autre surgissait une attaque acerbe : mais pour qui te prends-tu, toi ? Tu crois venir des pavillons ? Puis chacun repartait, rentrait chez lui. » Mais parfois c’est plus grave : un jeune voisin est arrêté pour des raisons obscures puis meurt en détention. Inquiets pour l’avenir de leur fille, les parents l’inscrivent non au collège public du secteur mais dans un collège privé. Et pour Kaoutar non plus ce n’est pas la joie. Entre brimade sur son apparence et remarque sur ses origines, elle ne trouve pas sa place parmi cette jeunesse favorisée. Elle trace sa voie malgré tout, ce sera la sociologie, une seconde naissance. « Ce jour-là, une photographie aurait dû être prise qui aurait exprimé, à elle seule, bien plus que tout ce que j’écris, ici, en toute sincérité. Vous me verriez alors debout sur le pas-de-porte de l’appartement parental, un sac sur le dos, une valise neuve à la main », raconte-t-elle. C’est comme si étranger ou enfant d’étranger en France n’étaient jamais certains de poser leur valise, jamais certains d’être parvenus à destination, comme si pour ces participants à une course, la ligne d’arrivée était toujours repoussée.

Enrica Sartori

A lire : Comme nous existons, Kaoutar Harchi, éd. Actes Sud, 144 pages, 17 euros